J' ai cette fois demandé un petit déjeuner berbère à Saïd. Pain, huile, thé. En bonus, olives et fromage. J'ai fait le début de cette ballade en 2007, il y a dix ans. Tout a changé, je ne reconnais rien. La terre de la piste est devenue bitume, les maçons ont eux aussi bien bossé, les maisons ont poussé. Je trouve rapidement l'itinéraire bis, un chemin muletier assez fréquenté qui coupe les lacets de la route. Pente raide mais ombragée. Après un jour de repos, les jambes ont faim et j'avance à vive allure de mulet. Les premiers 600m de dénivelé sont une formalité. Au col, à 2350m, un bouiboui propose des boissons fraîches. j'avais déjà fêté cette première ascension à coups de Coca une décennie auparavant. Je me désaltère, soigne mon taux de glycémie. On me propose une chambre à Tachddirt, je ne m'engage pas, il est encore tôt. Je reprend mon chemin par la route/piste qui se termine à Tachddirt. Plus de réseau téléphonique. Voilà le fameux Tachddirt qui pointe le bout de son nez. Un fond de vallée minéral. Un village sec pas très appétissant à première vue. Un autochtone décidé à me suivre pour le dernier kilomètre. Monologue bipolaire d'un déjanté : " Boire le thé ? " ou "Gîte ?". Notre ami est splendiose, un vrai personnage de BD : oreilles décollées, bassine en fer sur la tête, vocabulaire restreint, démarche insolite. Nous faisons la paire. La scène est cinématographique, proche de la poésie de l'abstraction jubilatoire ou de la quintessence de l'universalité. Nous sommes des personnages de western et notre arrivée en ville fait sensation... J'attendrai le bout de la piste pour les séparations. J'étais la seule proie potentielle de la journée. Mais qui n'aura pas mordu à l'hameçon. Et je continue jusqu'à ma destination finale : Oukaimden, la station de ski du Haut Atlas. Reste un dernier col, à 2950m d'altitude, avant d'apercevoir le premier télésiège. L'air est frais, je troque casquette contre bonnet, un coupe-vent est pour la première fois le bienvenu. L' oxygène se raréfie , je me traîne péniblement jusqu'au sommet. C'est l'heure du thé pour les bergers de Tachddirt. Je me déleste de mes derniers biscuits. Ce thé a le goût du Champagne, la gueule d'un drapeau à damier. Les bergers comprennent ma légère volubilité quand je leur dit qu'il y a une semaine, j'étais là bas où le soleil se couche, à plus de 150km à l'ouest. L'idée de l'arrivée, comme toujours ensuite, me plonge dans un profond tourment... Mais je me raccroche à ce que disait Guillaume de Machaut au XIVe siècle en composant son rondeau reversible : " Ma fin est mon commencement " Marcher pieds nus dans l'herbe verte et spongieuse finira de me libérer de ce pincement au coeur. Je retarde l'échéance en zigzaguant dans la prairie, je suis Laura Ingalls...

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