Je n’aurais peut-être pas dû allumer mon téléphone. Courriers électroniques assez préoccupants pour prendre trop de place dans mon esprit. Je sais que je vais devoir abandonner mes camarades un jour au moins, peut-être plus, pour consulter mes emails et avoir accès au téléphone avant d’entamer la traversée de l’Anti Atlas où nous n’aurons peut-être aucun moyen de communiquer avec l’extérieur pendant plusieurs jours. Nous arrivons en fin de journée dans un village laid et hostile, terré au fond d’une vallée grise. Les portes sont fermées, nous sommes suivis par une nuée de gamins que j’aimerais disperser à coups de chaussures de marche, les rares personnes que l’on croise ne nous proposent aucun accueil. Je serre les dents. Nous installons les tentes dans un préau qui pourrait avoir connu la guerre. Raphaël, qui est assez malin pour savoir comment rallumer les flammes, me propose d’enregistrer deux des quatre pistes de son morceau du jour. J’hésite car j’ai peur d’être nul, de ne rien trouver d’autre à jouer que des airs qui ne sont pas les miens. Puis, une fois la guitare à la main, je m’amuse, comme un enfant. Je ne suis pas dans le rythme, je ralentis, tant pis, le morceau est pollué par les bruits de sac plastique de Bruno qui prépare la popote, pas grave, il se trouve même que ça sonnera bien au final. Au moment précis où je joue mes dernières notes l’appel à la prière du soir se répand dans les rues du village: le chant du muezzin et ma petite mélodie sont exactement sur la même gamme. On laisse l’enregistrement se poursuivre. Elle semblait bien cachée aujourd’hui, elle n’était finalement pas si loin, l’harmonie des choses entre elles.

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