Je prépare moi aussi ma lunch box au buffet de l’hôtel où les travailleurs déjà présents sont attablés au quatre étoiles comme à la cantoch. Il faut faire le plein, la journée s’annonce longue et linéaire. Il s’agit tout simplement de suivre le canal jusqu’à Anvers. La journée d’hier tenait déjà de l’hypnose, on pourrait passer à une anesthésie… C’est d’ailleurs ce qu’il se passe puisque je m’endors au volant, vraiment. Mais l’effet est nettement moins dramatique à 5km/h qu’à cinquante. L’expérience n’en est pas moins troublante. On peut marcher dans un demi-sommeil mais à l’endormissement, tout s’arrête, malgré une trajectoire encore correcte. La tête tombe en avant, le corps s’éteint. Évidemment tout ça en moins d’une seconde, étonnant. Il me faudra un délicieux sorbet et un thé glacé piquant pour sortir de cette brume pas si désagréable.
J’ai la chance d’entrer en périphérie d’Anvers par une zone de travaux. Une heure de poussière et de camions qui anéantissent les derniers espoirs d’un bivouac de banlieue. Troisième port d’Europe, pas pour rien. Dormir dans une forêt, déjà fait. Dans une forêt de containers du monde entier, jamais, mais j’aimerais.
Le premier quartier de la ville est le quartier marocain. Rien n’y manque, tout est comme là-bas. C’est l’heure du nouss-nouss, ça sent les fruits, les légumes, la coriandre réanime mon nez, endormi depuis des semaines d’odeurs de frites.
J’ai finalement choisi le camping même si moins reposant après déjà plus de trente kilomètres.
Je dois traverser l’Escaut par un tunnel cyclo/piéton pour rejoindre le camping. Une série d’escalators permet de descendre et de remonter. Je n’en ai jamais vu d’aussi beaux. Les plus vieux d’Europe, tout de bois patiné. L’aller se passe sans souci et je fonce dans le tunnel. La remontée vers l’extérieur sera bien différente. Je fais le mauvais choix, celui de garder la Carrossa dans le sens de la marche. Le poids est plutôt vers l’arrière et à la première levée de marche, c’est la catastrophe. Les quarante kilos m’envoient trois mètres plus bas. J’essaie de retenir le poids, je n’y arrive pas. Sur le dos, la moitié de la charrette sur les tibias, je descends deux mètres plus bas encore. Cette fois je bute sur un père de famille qui lui aussi manque d’être entraîné vers le bas. Une âme charitable déclenche l’arrêt d’urgence. J’ai maintenant la tête au niveau du sol, nez à nez avec la roue avant du vélo d’une mamie, paniquée. Je dégage mes deux jambes, rien de cassé, mais j’aurais voulu des protèges tibias. Il aurait vraiment pu se passer quelque chose de grave, et par ma faute. Récompense de cette erreur, le camping est complet et la négociation est impossible. Je dois retraverser le tunnel Ste Anne, trouver un hôtel. 18h30, 38km, les tibias en sang et les douleurs dues au choc qui commencent à apparaître. Je m’en tire bien sur la fin et trouve tout ce qu’il faut si on excepte le kinésithérapeute.

Je me rappelle les paroles des murs de la veille.
Stay high, wild and free.
Pas facile parfois de tout combiner.

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