La brume de l’aube s’évanouit avec le jour. La fraîcheur s’enfuit devant un soleil sans bémol. J’enchaîne machinalement et délicieusement les étapes matinales du lever de camp. Pisser comme un bienheureux. Faire partir un café. Sécher la tente. Plier son duvet. Petit déjeuner dans un réfectoire luxueux. Ranger les sacs dans les bidons étanches. Puis les bidons dans les bateaux. Contraintes dont on ne se lasse puisqu’elles annoncent le plaisir de se faire porter par le courant.

La réserve du Val d’Allier sera aujourd’hui notre fil rouge. Il faudrait théoriquement s’en éloigner pour pouvoir bivouaquer. Mais notre timing flaire déjà bon le campement illégal, façon garimperos… Nous profitons de la température encore clémente pour avancer. Une progression facile, exquise.

Nous choisissons pour la pause méridienne une plage à la confluence de la Sioule. La rivière est large, le paysage dégagé, la chaleur accablante car l’ombre absente. Une énorme souche et une grande bâche permettront de bâtir un abri éphémère et salutaire. Un pique-nique conséquent doublé d’un soleil écrasant nous forceront au temps calme, sieste pour mon frère d’armes, correspondance numérique pour ma part.

La seule possibilité de ravitaillement en bord de rivière se présente après le pont de Châtel Deneuvre sous la forme d’un petit camping. L’accostage y est folklorique, la berge pas aménagée. Mais tout ce dont nous avons besoin y sera : des sanitaires pour nos réserves d’eau, de la bière fraîche, une glace. Pour ce qui est de la soirée Moules Frites, on passera notre tour, préférant mettre à profit notre légère ébriété pour pagayer sous une chaleur maintenant bien plus humaine.

La quête du Feng Shui nous fera dévisager quelques plages propices au bivouac. Après quelque hésitation, nous en choisissons une. Une vaste plage de cailloux, une terrasse à l’herbe rase, signe de la présence des vaches, charolaises probablement. Sont elles encore là? La taille du pré est difficilement sondable à l’œil nu… Si elles n’ont pas déménagé, elles viendront se désaltérer ici, leur accès à l’eau est bien marqué…

Effectivement, elles viendront boire et faire connaissance avec les éphémères voisins que nous serons ce soir. En montant ma tente, je surveille les jeunes veaux, agités et curieux. Mais sans faire croire aux mères que je pourrais être un danger pour les petits. Car, à coup sûr, ça ne plairait pas au taureau qui dépasse allègrement la demi-tonne.

Pour limiter le nombre de chefs d’accusation, nous ne ferons pas de feu dans la réserve. Grâce au butane, le petit salé aux lentilles atteindra la température réglementaire.

Mes yeux se perdent dans le ciel de nuit. Le trafic y est intense, les satellites innombrables, l’immensité totale. Le bord d’Allier et les reflets mous de la lune dans les vaguelettes sont moins vertigineux, mais l’échelle me convient mieux.

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